Des millions pour JUSTE un logo
Pourquoi le rebranding coûte cher et pourquoi c'est normal ?
J'écoutais TechCafé¹ l'autre jour.
Sujet du jour: le rebranding d'OpenAI.
"Plusieurs millions dépensés pour... presque le même logo?"
Cette phrase m'a frappé.
Pas parce qu'elle est fausse. Mais parce qu'elle révèle une vérité plus profonde sur notre perception du design.
Car dans l'esprit collectif, un rebranding = un nouveau logo.
Point.
Cette équation simpliste me fascine. Elle en dit long sur notre obsession de l'immédiatement visible. Sur notre culture de l'évidence. Sur notre relation au changement.
Et si on creusait un peu?
L'illusion du changement visible
D'où vient cette obsession du logo ?
Cette fixation sur le symbole plutôt que sur le système ?
Cette réduction d'un processus complexe à un simple signe graphique ?
Je suis le premier coupable.
Combien de fois ai-je jugé un rebranding en quelques secondes, sur la seule base du nouveau logo?
"Jaguar? Trop radical."
"Decathlon? Trop simpliste."
"Deezer? Pas mal, mais..."
Un réflexe presque épidermique. Juger avant de comprendre. Réagir avant d'observer.
Mais j'ai appris.
Car cette vision est non seulement réductrice, elle est fondamentalement erronée.
Rebranding ≠ nouveau logo.
Le rebranding, c'est l'adaptation d'une marque à de nouveaux contextes, de nouveaux publics, de nouveaux usages.
Le logo n'en est que la partie émergée. La pointe visible de l'iceberg.
Et nous savons tous ce qui est arrivé au Titanic pour avoir ignoré ce qui se cache sous la surface...
L'ampleur invisible du travail
Prenons le cas de France Télévisions en 2018².
Beaucoup ont vu : "500 000 pour des points de couleur".
"Ça prend 5 minutes à faire!"
Mais que ne voyons-nous pas?
Une agence entière mobilisée pendant des mois
Le développement d'un système visuel complet
Une charte graphique de 50 à 200 pages détaillant chaque usage
Des déclinaisons sur des dizaines de supports (print, numérique, réseaux sociaux)
Des animations spécifiques pour chaque chaîne
Des sites web entièrement repensés
Une typographie personnalisée
L'adaptation des logos sur les bâtiments, véhicules, équipements
Et ce n'est que la partie visible.
Ajoutez les recherches préliminaires, les tests utilisateurs, les ajustements stratégiques, les ateliers de co-création, la formation des équipes...
Un rebranding, c'est un écosystème complet.
Pas un simple coup de pinceau.
L'ère des points de contact multiples
Pour comprendre cette évolution, remontons le temps.
Pendant près d'un siècle, une marque était effectivement son logo.
Un symbole sur un produit. Un signe sur une devanture. Une signature sur une publicité.
Les points de contact étaient limités, contrôlés, prévisibles.
Mais aujourd'hui ?
Une marque vit partout. Tout le temps. Sur tous les supports.
Sur nos écrans (de toutes tailles)
Dans nos oreilles (podcasts, assistants vocaux)
Dans nos conversations (mèmes, références)
Sur nos vêtements, nos murs, nos objets
Dans nos espaces publics et privés
Cette multiplication exponentielle des points de contact a transformé radicalement ce qu'est une marque.
Ce n'est plus un logo.
C'est un langage complet.
Un système de communication qui doit rester cohérent à travers des centaines d'expressions différentes.
C'est un état d'esprit.
"Just Do It." "Think Different." "Finger Lickin' Good."
Ces phrases ne sont pas de simples slogans.
Ce sont des philosophies condensées en quelques mots.
Des invitations à appartenir à une communauté.
Des prises de position sur le monde.
Et ce n'est pas seulement visuel.
Une brand s'exprime aussi par le son, par l'expérience, par le ressenti.
Le coût de l'échec vs l'investissement dans la réussite
"Mais pourquoi dépenser autant ?"
La question est légitime.
Mais inversons-la: quel est le coût de l'échec ?
Souvenez-vous de Tropicana en 2009.
Un rebranding qui semblait anodin. Un packaging "modernisé".
Résultat ? Une chute des ventes de 20%³.
30 millions de dollars de pertes.
En deux mois.
Puis un retour précipité à l'ancien design.
Une marque n'est pas qu'un actif marketing.
C'est un actif financier. Parfois le plus précieux de l'entreprise.
Quand Nike dépense des millions pour maintenir sa marque pertinente, ce n'est pas du gaspillage.
C'est une assurance-vie.
Quand Apple peaufine chaque interface de son écosystème visuel, ce n'est pas de la coquetterie.
C'est de la stratégie à l'état pur.
L'invisibilité du travail bien fait
Vous le savez désormais, le design le plus réussi est celui qui devient invisible.
On en a déjà parlé pour le design en général, pour l'UX, pour l'expérience utilisateur.
Le design le plus réussi semble évident. Naturel. Intemporel.
Comme si la marque avait toujours été ainsi.
Prenons Coca-Cola.
Son logo n'a pratiquement pas changé depuis sa création.
Mais son branding ? En constante évolution.
Des affiches vintage aux campagnes digitales, du verre iconique aux expériences immersives, de "The pause that refreshes" à "Open Happiness"...
La marque s'est constamment réinventée sans jamais changer son logo.
C'est ça, un rebranding réussi.
Une évolution si fluide qu'elle semble inévitable.
Si naturelle qu'elle devient invisible.
Le paradoxe de la perception
Nous touchons ici à un paradoxe fascinant:
Le changement doit être visible pour être reconnu, mais invisible pour être accepté.
Trop radical ? Rejet.
Trop subtil ? Moqueries sur le "gaspillage".
C'est le même phénomène avec l'iPhone.
"Il n'a pas changé !" disent certains quand le design reste similaire.
Peu importe la révolution à l'intérieur.
Peu importe les innovations invisibles.
Si ça ne se voit pas, ça n'existe pas.
Cette tyrannie du visible nous rend aveugles aux transformations les plus profondes.
La valeur au-delà de l'évidence
Alors comment juger vraiment un rebranding ?
Pas que sur son logo.
Mais sur ce qu'il permet à la marque:
Être cohérente sur tous ses points de contact
Evoluer sans trahir son essence
Parler à de nouveaux publics
S'adapter aux nouveaux usages
Résister à l'épreuve du temps
Un bon rebranding renforce la connexion entre une marque et son public.
Il crée plus de valeur qu'il n'en coûte.
Il prépare la marque aux défis de demain, pas seulement aux tendances d'aujourd'hui.
Le rebranding catalyseur
Le rebranding n'est pas un exercice de style.
C'est une transformation stratégique.
Une réflexion profonde sur l'identité, les valeurs, le positionnement.
Une redéfinition de la façon dont une marque se présente au monde.
Dans un univers où les formats évoluent constamment, où les attentes changent radicalement, où la concurrence se réinvente perpétuellement...
Rester statique n'est pas une option.
Se transformer est une nécessité.
Le faire intelligemment est un art.
Et cet art mérite d'être reconnu à sa juste valeur.
Même si (et surtout si) son expression la plus visible peut sembler minimale.
Car comme en design, en architecture, en musique...
La vraie élégance réside souvent dans ce que l'on choisit de ne pas changer.
À très vite,
Michel
📝 Citation du Jour
« Les bons designs ne dépendent pas du support que l’on utilise. Pour créer un design de qualité, il faut bien réfléchir à ce que l’on veut faire et au cadre dans lequel cela s’inscrit, avant même de commencer. »
— Susan Kare
🚀 Et maintenant, à toi de jouer !
🎲 Partage cette perspective
Cette newsletter a changé ta vision du rebranding? Elle t'a fait voir au-delà du logo?
Alors partage-la! Chaque partage aide d'autres à comprendre la valeur réelle du design stratégique.
📬 Rejoins l'aventure !
Une newsletter qui explore le design au-delà des apparences. Un laboratoire où l'on questionne les idées reçues et où l'on célèbre la profondeur plutôt que la surface.
💡 Discutons ensemble !
J'aimerais connaître ton point de vue :
Quel rebranding récent t'a particulièrement marqué (positivement ou négativement) ?
As-tu déjà changé d'avis sur un rebranding ?
Si ta marque/entreprise devait évoluer, par où commencerais-tu ?