Ce soir, c'est la WWDC.
Un rendez-vous sacré.
Un moment où, pendant quelques heures, tous les créateurs numériques retiennent leur souffle.
Développeurs, designers, entrepreneurs.
Tous connectés.
Tous en attente.
Tous espérant ce moment de magie collective où Tim Cook murmure "One more thing..." et dévoile quelque chose qui redéfinira nos métiers pour l'année à venir.
J'ai encore en mémoire cette édition où Apple annonçait le Mac M1.
Une déflagration.
Un moment charnière.
Un point d'inflexion.
Picture in Picture.
Memojis.
Plans.
App Clips.
HomeKit.
SwiftUI.
Big Sur – la plus importante mise à jour depuis MacOS X.
Chaque annonce ouvrait un champ des possibles.
Chaque nouvelle API était une porte vers des créations inédites.
Chaque innovation technique était une promesse d'expériences transformées.
Ces soirs-là, je terminais la keynote galvanisé, impatient, la tête bouillonnante d'idées.
Prêt à explorer, à expérimenter, à créer.
Mais aujourd'hui ?
Quelque chose a changé.
La magie s'est-elle éteinte ?
L'émerveillement s'est-il érodé ?
La ferveur s'est-elle évanouie ?
Ou sommes-nous simplement arrivés à une limite invisible mais bien réelle – ce plafond de verre de l'innovation mobile ?
Le syndrome du plateau technologique
Dans deux ans, la téléphonie mobile telle que nous la connaissons fêtera ses 20 ans.
2007-2027 : deux décennies d'évolution fulgurante depuis le premier iPhone.
19 versions d'iOS.
Des centaines de mises à jour.
Des milliers de fonctionnalités ajoutées.
Une transformation si profonde, si rapide, si complète qu'elle a remodelé nos vies, nos sociétés, nos économies.
Mais aujourd'hui, que reste-t-il à transformer ?
Les rumeurs autour d'iOS 19 évoquent un design inspiré par visionOS.
Des boutons plus ronds.
Des interfaces plus transparentes.
Une "simplification" du style visuel.
Encore une fois, on remodèle l'apparence plutôt que l'essence.
C'est le symptôme d'un écosystème qui a atteint sa maturité – et peut-être ses limites.
Quand l'innovation devient cosmétique
Cette évolution a quelque chose de profondément paradoxal.
Apple, qui a eu le "courage" de supprimer la prise jack puis le bouton Home, a ajouté deux nouveaux boutons sur l'iPhone en deux ans.
Apple, dont la philosophie a toujours été "Les utilisateurs ne savent pas ce qu'ils veulent, c'est à nous de leur montrer", permet maintenant des personnalisations tous azimuts.
Apple, qui plaçait la fonction avant le design, semble désormais prioriser l'apparence sur l'expérience.
Et l'année dernière, l'humiliation d'Apple Intelligence : annoncée en fanfare comme l'argument principal du nouvel iPhone, mais toujours pas déployée un an plus tard, au point que certaines fonctionnalités ont été abandonnées en cours de route.
Une Apple qui tâtonne n'est plus vraiment Apple.
Mais est-ce vraiment leur faute ?
Ou est-ce le signe que nous avons atteint une limite naturelle dans le cycle d'évolution de cette technologie ?
Après tout, que peut-on encore ajouter à un smartphone aujourd'hui ?
On ne peut pas le simplifier davantage; la plupart des utilisateurs n'exploitent déjà que 10% des fonctionnalités existantes.
On ne peut pas améliorer significativement son usage principal – consulter, communiquer, créer – sans tomber dans l'optimisation marginale.
On ne peut pas révolutionner son format sans créer un appareil différent; ce qui nous amène aux formats pliables.
Alors que reste-t-il ?
Des gimmicks ?
Des animations ?
Des surfaces transparentes ?
Ou faut-il accepter que nous sommes face à un moment charnière; non pas la fin de l'innovation, mais peut-être la fin d'un certain type d'innovation, celle qui transforme radicalement l'objet lui-même ?
L'ère de l'innovation invisible
Face à ce constat, deux approches s'affrontent.
La première, celle que semble avoir adoptée Apple ces dernières années, consiste à multiplier les changements visibles même quand ils n'apportent pas d'amélioration substantielle.
Changer pour changer.
Innover pour innover.
Annoncer pour annoncer.
Une approche dictée par la pression des marchés, la dictature du "nouveau", l'obligation de justifier un nouveau cycle d'achat.
Mais il existe une autre voie.
Plus significative.
Je me souviens de cette annonce d'Apple (presque passée inaperçue) où ils expliquaient avoir retravaillé "from the ground up" leur OS et l'avoir optimisé, permettant une installation sur des appareils plus anciens sans perte de performance.
Pas de nouvelle interface étincelante.
Pas de fonctionnalité révolutionnaire à mettre en avant dans les publicités.
Juste un système plus efficace, plus pérenne, plus responsable.
Ça, c'est de l'innovation.
Faire mieux avec moins.
Améliorer sans remplacer.
Optimiser plutôt que réinventer.
Mais dans un monde obsédé par le visible, par l'immédiat, par le spectaculaire, ces innovations passent presque inaperçues.
L'art d'innover au-delà du visible
Ce phénomène dépasse largement Apple et la téléphonie mobile.
Regardez l'industrie des téléviseurs.
Après le CRT, le plasma, le LCD, le LED, l'OLED... où allons-nous ?
Toutes les images sont déjà sublimes.
Les différences deviennent imperceptibles pour l'œil non expert.
Alors comment justifier de nouveaux modèles ?
On ajoute des logiciels, de l'IA, des assistants vocaux...
Mais avons-nous vraiment besoin d'un système d'exploitation complet pour regarder une série ?
Comment faisions-nous sans logiciel dans les années 2000 !
Ou prenez l'automobile.
À défaut de révolutionner la motorisation (malgré les promesses de l'électrique), on multiplie les écrans, les fonctionnalités, les assistances, les LED, les matières...
On transforme nos voitures en vaisseaux spatiaux alors que leur fonction première – nous déplacer – n'évolue plus fondamentalement.
Cette course perpétuelle à l'innovation visible pose des questions profondes :
Est-elle compatible avec nos préoccupations écologiques croissantes ?
Est-elle réellement au service des utilisateurs ou seulement des cycles financiers ?
Ne masque-t-elle pas des stagnations plus fondamentales dans notre capacité à résoudre les grands défis technologiques ?
Frapper fort plutôt que frapper souvent
Face à ce plafond de verre, certaines entreprises explorent des voies alternatives.
Je pense à Sony qui, après avoir sorti un nouveau casque audio chaque année, a fait une pause de trois ans avant de revenir avec le XM6.
Ce n'était pas une simple itération, mais une reinvention : système audio revu, structure corrigée, problèmes des versions précédentes effacés.
Plus significatif encore, ils ont innové là où personne ne l'attendait: avec un boîtier sans zip, utilisant un système magnétique qui pourrait devenir un nouveau standard.
Le retour du roi, comme l'ont qualifié certains médias.
Cette approche – attendre, observer, frapper fort – contraste avec le cycle annuel d'itérations incrémentales que nous connaissons dans la tech.
Elle rappelle cette vérité que nous semblons avoir oubliée : l'innovation significative prend du temps.
Elle ne peut pas être programmée sur un calendrier commercial.
Einstein disait : "Si j'avais une heure pour résoudre un problème, je passerais 55 minutes à réfléchir au problème et 5 minutes à chercher la solution."
Peut-être que le problème d'Apple (et de toute notre industrie) est qu'elle n'a plus le temps de définir les problèmes avant de chercher des solutions.
Repenser notre relation à l'innovation
Si la technologie mobile a atteint un plateau de maturité, cela ne signifie pas la fin de l'innovation.
Cela signifie simplement que nous devons repenser notre approche.
Je vois trois voies possibles :
1. L'innovation responsable
Celle qui se concentre sur l'optimisation plutôt que l'addition.
Qui vise la durabilité plutôt que le remplacement.
Qui cherche à prolonger plutôt qu'à rendre obsolète.
Une innovation qui accepte de n'être pas toujours spectaculaire, mais qui crée une valeur réelle et durable.
2. L'innovation par rupture
Quand un domaine atteint sa maturité, l'innovation significative vient souvent d'ailleurs.
Les grands sauts technologiques ne sont pas incrémentaux: ils sont révolutionnaires.
L'IA représente peut-être cette rupture.
Non pas comme une fonctionnalité supplémentaire greffée sur nos appareils existants, mais comme un changement fondamental dans notre façon d'interagir avec la technologie.
C'est ce que Google a compris avec des fonctionnalités comme Circle to Search ou ses outils de retouche photo; des transformations de l'expérience, pas juste des améliorations.
3. L'innovation par restriction
Parfois, la contrainte est la mère de l'innovation. Se donner des limites strictes (techniques, écologiques, économiques) force à repenser les fondamentaux.
Notre responsabilité de créateurs
Dans ce contexte de plateau technologique, notre rôle de designers et d'entrepreneurs prend une dimension nouvelle.
Nous ne pouvons plus nous contenter de suivre les tendances ou d'itérer sur l'existant.
Nous devons questionner, remettre en cause, réinventer.
Quand j'observe notre rapport à l'innovation, je constate que nous sommes passés d'une approche marathon (⇒ penser sur le long terme, construire des fondations solides) à un sprint perpétuel (⇒ shipper vite, sans penser aux conséquences).
Cette accélération reflète peut-être une certaine panique face au ralentissement de l'innovation fondamentale.
À défaut de progrès significatifs, multiplions les changements superficiels.
Mais ce n'est pas une fatalité.
À tout jeune designer ou entrepreneur qui se lance aujourd'hui dans cet écosystème mature, je dirais ceci :
Réfléchis profondément avant d'agir
Positionne-toi en challenger, pas en suiveur
Ne confonds pas nouveauté et innovation
Cherche les problèmes non résolus, pas juste les fonctionnalités manquantes
N'aie pas peur d'attendre pour frapper fort
Car l'innovation véritable n'est pas une question de vitesse ou de visibilité.
C'est une question de pertinence et d'impact.
Au-delà du plafond de verre
Ce soir, je regarderai la WWDC avec un mélange d'excitation et de scepticisme.
J'espère être surpris, émerveillé, inspiré comme je l'ai été par le passé.
J'espère qu'Apple nous prouvera que l'innovation significative est encore possible, même dans un écosystème mature.
Mais qu'importe le résultat, je sais que notre rôle de créateurs n'a jamais été aussi important.
Car si les plateformes atteignent leurs limites, notre créativité, elle, reste sans bornes.
Le véritable plafond de verre n'est pas technologique – il est mental.
À nous de le briser.
À très vite,
Michel
📝 Citation du Jour
« Innover, ce n’est pas avoir une nouvelle idée, mais arrêter d’avoir une vieille idée. »
— Edwin Herbert Land
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Comment gères-tu la tension entre grandes annonces et itérations dans ton travail?
Penses-tu que nous avons vraiment atteint un plateau dans l'innovation mobile, ou est-ce simplement une transition vers autre chose?