Une question vaut mieux que mille réponses
Pourquoi les meilleurs designers ne sont pas ceux qui résolvent les problèmes, mais ceux qui les définissent
« Si vous pouvez vraiment définir le problème, vous avez également déjà trouvé la solution. »
– Chip Kidd
Ces mots simples renferment une sagesse profonde qui a transformé ma vision.
Car ils renversent complètement notre perception traditionnelle du métier.
On nous présente toujours le designer comme un créateur de solutions.
Un faiseur.
Un solutionneur.
Mais si le vrai talent était ailleurs ?
Et si la véritable valeur du designer résidait dans sa capacité à définir les problèmes plutôt qu'à les résoudre ?
Le designer face à ses questions
Observe le quotidien d'un designer UX.
Ses outils ? Figma, Sketch.
Ses livrables ? Des wireframes, des prototypes, des maquettes.
Son objectif apparent ? Créer des interfaces, des parcours, des expériences.
Mais derrière cette façade se cache une réalité bien différente.
Avant de dessiner la moindre ligne, avant de coder le moindre bouton, avant de concevoir la moindre interaction, le designer fait quelque chose de bien plus précieux.
Il questionne.
Il explore.
Il remet en cause.
Un bon designer ne commence jamais par la solution.
Il commence par s'immerger dans le problème.
Par le disséquer.
Par le retourner dans tous les sens jusqu'à en révéler l'essence.
Le pouvoir transformateur de la question
J'ai vécu cette révélation lors d'un projet pour une application d'événements sportifs.
Le client est arrivé avec une demande précise : permettre aux utilisateurs d'avoir plusieurs abonnements sur un même compte.
Simple, n'est-ce pas ?
Sauf que l'application était conçue depuis le début sur un modèle "un compte = un abonnement". Modifier cette structure risquait de tout fragiliser, créant un effet domino de problèmes en cascade.
L'équipe technique commençait déjà à envisager des solutions complexes, des restructurations massives de la base de données.
C'est là que j'ai pris du recul.
Au lieu de me précipiter sur les wireframes, j'ai posé une question simple mais cruciale :
"Pourquoi les utilisateurs auraient-ils besoin de plusieurs abonnements ?"
Cette simple question a tout changé.
En remontant à la source, en redéfinissant le problème, une solution beaucoup plus élégante est apparue.
Une solution qui préservait l'architecture existante tout en répondant au besoin.
La solution était cachée dans la définition même du problème.
L'art de voir
Un autre exemple me vient à l'esprit.
Chez Shopmium, nous avions développé une nouvelle fonctionnalité dont nous étions fiers.
Design soigné, parcours fluide, valeur ajoutée évidente.
Problème : seulement 3% des utilisateurs l'utilisaient.
Tests, analytics, entretiens...
Nous avons tout essayé pour comprendre.
Le problème semblait insaisissable.
Jusqu'à ce qu'une séance d'observation révèle quelque chose d'étonnamment simple : le bouton d'accès à la fonctionnalité se fondait trop bien dans l'interface.
Rose comme tous les éléments interactifs de l'application, le bouton se fondait parfaitement dans l'identité visuelle... trop parfaitement.
Invisible dans son environnement.
Nous avons changé la couleur du bouton pour du bleu.
L'utilisation a instantanément augmentée.
Ce n'est pas une solution complexe.
Ce n'est pas une innovation technologique.
C'est simplement la bonne réponse à la bonne question :
"Pourquoi les utilisateurs n'utilisent-ils pas cette fonctionnalité ?"
La solution vs le solutionnisme
Notre industrie souffre d'un mal profond : le solutionnisme.
Cette tendance à sauter directement aux réponses sans vraiment comprendre les questions.
Cette obsession pour les solutions rapides, spectaculaires, innovantes.
Ce réflexe de construire avant de comprendre.
Je connais cette tentation.
Je la ressens moi-même, surtout quand les délais sont serrés.
L'envie de sauter directement aux wireframes.
L'urgence de présenter quelque chose de tangible.
L'impatience qui nous pousse à l'action avant la réflexion.
Mais j'ai appris, parfois douloureusement, que cette précipitation est une illusion d'efficacité.
Le temps "perdu" à définir le problème est toujours du temps gagné sur la solution.
La créativité cachée dans la définition
La définition du problème n'est pas une étape préliminaire, secondaire ou accessoire.
C'est un acte profondément créatif.
C'est un art en soi.
C'est là que réside la véritable innovation.
Car définir un problème, c'est déjà le transformer.
Car définir un problème, c’est déjà connaître la solution
Pense à Uber.
En France, un entrepreneur avait développé un service similaire bien avant, permettant de commander des taxis via un site web.
Mais Uber a redéfini le problème.
Ce n'était pas juste "commander un taxi". C'était "avoir un moyen de transport à portée de main, partout, à tout moment".
Cette redéfinition a fait toute la différence.
Elle a placé le smartphone, et non l'ordinateur, au centre de l'expérience.
Le produit français avait identifié le bon problème, mais l'avait mal défini.
Et cette définition incomplète a limité sa solution.
Le designer comme questionneur professionnel
Cette perspective change radicalement notre vision du métier.
Le designer n'est plus celui qui trouve les bonnes réponses.
Il est celui qui pose les bonnes questions.
Il n'est plus un simple exécutant qui embellit des fonctionnalités.
Il est un acteur de l’évolution qui révèle les besoins.
Son super-pouvoir n'est pas de dessiner, mais de voir.
De voir ce que d'autres ne voient pas.
De percevoir des patterns invisibles.
De sentir des frictions imperceptibles.
C'est d'ailleurs peut-être pour cela que les UX designers sont souvent mieux valorisés que les UI designers. Ils maîtrisent l'art de définir les problèmes, pas seulement de les habiller.
L'humilité face à l'inconnu
Cette approche exige une qualité rare : l'humilité.
L'humilité de ne pas prétendre connaître les réponses avant même d'avoir compris les questions.
L'humilité d'écouter vraiment, d'observer attentivement, de questionner continuellement.
L'humilité de remettre en cause ses propres hypothèses.
C'est un état d'esprit qui va à l'encontre de notre culture du "fake it until you make it".
Dans un monde qui célèbre les réponses rapides et les solutions spectaculaires, oser dire "je ne sais pas encore, mais je vais explorer" demande du courage.
La définition comme collaboration
La beauté de cette approche est qu'elle transforme notre relation avec les clients et les utilisateurs.
Ce n'est plus une relation de service où nous livrons des solutions prédéfinies.
C'est une collaboration où nous définissons ensemble les problèmes que nous allons résoudre.
Quand un client vient avec une "solution" en tête, mon réflexe n'est plus de la réaliser directement ou de la rejeter.
C'est de demander : "Qu'essayez-vous d'accomplir ?"
Cette simple question nous ramène au problème réel, à l'objectif fondamental.
Et souvent, la meilleure solution n'est pas celle que nous avions initialement imaginée.
L'itération perpétuelle
Cette vision du design comme définition de problèmes explique aussi pourquoi notre métier est une itération perpétuelle.
Car il n'existe pas de produit parfait, de design définitif, d'interface ultime.
Il existe seulement des problèmes qui évoluent, se transforment, se redéfinissent constamment.
Et c'est ce qui rend notre métier si passionnant.
Nous ne sommes pas là pour atteindre une destination finale.
Nous sommes là pour explorer un territoire en constante évolution.
Pour poser toujours de meilleures questions.
Pour définir toujours plus précisément les problèmes.
La définition comme art suprême
En fin de compte, peut-être que Chip Kidd avait raison.
Si vous pouvez vraiment définir le problème, vous avez effectivement déjà trouvé la solution.
Car la définition n'est pas l'antichambre de la solution.
Elle en est le cœur battant.
L'essence même.
Le designer n'est pas un magicien qui tire des solutions de son chapeau.
Il est un chercheur qui comprend l’humain.
Un mentaliste qui donne voix aux besoins informulés.
Un catalyseur qui boost l’innovation.
Et c'est peut-être là que réside sa véritable magie.
À très vite,
Michel
📝 Citation du Jour
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— Oscar Wilde
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