L'Art Perdu de la Nuance
Quand tout devient blanc ou noir, nous perdons l'essence même de l'humanité
J'ai vécu comme beaucoup la fin de Vilebrequin.
Une fin qui s'annonçait prometteuse.
Une fin qui a bouleversé internet.
Ni positive, ni négative, ce qui devait être un renouvellement s'est transformé en drama en trois actes.
Une dénonciation, un meurtre public, une personne désespérée.
Je ne vais pas en parler.
Ce n'est ni l'endroit, ni mon rôle, ni ma passion.
Mais alors pourquoi les citer ?
Parce que cette situation me donne envie de parler d'une chose importante. Une chose que j'ai l'impression que nous perdons petit à petit.
La nuance.
Quand je suis tombé dans le piège
Il y a quelques mois, Jaguar dévoilait son nouveau branding ¹.
Ma première réaction ?
Choc. Indignation. "Qu'est-ce qu'ils foutent ?"
Comme tout le monde, j'ai réagi à chaud.
Comme tout le monde, j'ai jugé sans réfléchir.
Puis j'ai fait quelque chose que nous oublions trop souvent.
J'ai pris du recul.
Jaguar perdait 3 milliards par an ².
Une marque mourante. Invisible. Oubliée.
Mais avec ce rebranding choc ?
Premier plan. Toutes les bouches. Toutes les conversations.
Souvent en mal, certes.
Mais au moins, ils existent à nouveau.
Contextualiser change tout.
C'était peut-être un coup de génie marketing, à la New Coke de Coca-Cola dans les années 80.
Ou peut-être pas.
Mais cette réflexion m'a rappelé une vérité fondamentale : ma première réaction était binaire.
Bonne ou mauvaise.
Point final.
J'avais oublié la nuance.
L'érosion silencieuse
Cette perte de nuance n'est pas accidentelle.
Elle est systémique.
Les algorithmes nous enferment dans des bulles qui renforcent nos biais.
Nous confirment dans nos opinions.
Nous extremisent sans que nous nous en rendions compte.
Le scroll passif nous fait absorber l'information sans résistance critique.
Une info défile, s'imprime quelque part dans notre cerveau, puis disparaît.
Remplacée par la suivante.
Nous ne sommes plus en mode analyse, mais en mode réception.
La vitesse de l'actualité et le FOMO nous poussent à réagir à chaud.
Pas le temps de vérifier.
Pas le temps de contextualiser.
Pas le temps de réfléchir.
Les biais cognitifs font le reste.
Biais d'appartenance qui nous pousse à adopter l'avis du groupe.
Biais de perception qui nous aveugle sur le reste.
Loi de Brandolini qui fait qu'un mensonge se propage plus vite que sa réfutation.
Cette érosion existe aussi dans le monde physique.
Fake news relayées par les États.
Extremisation des pays.
Montée des violences.
Nous vivons dans un monde qui pousse au binaire.
Avec nous ou contre nous.
Blanc ou noir.
Point final.
Le prix de cette simplicité
Quand la nuance disparaît, que perdons-nous exactement ?
Nous perdons la profondeur.
La capacité à voir l'image globale.
À comprendre les contextes.
À saisir les subtilités.
Nous perdons l'empathie.
Car comprendre l'autre demande de la nuance.
De voir ses motivations, ses contraintes, ses peurs.
Nous perdons l'humanité.
Les extremisations qui mènent au harcèlement.
La confusion entre acteurs et leurs rôles.
Les personnalités publiques massacrées pour une décision.
Les suicides qui en découlent, malheureusement de plus en plus nombreux.
Sans nuance, nous ne voyons que des cibles.
Plus des humains.
L'expertise qui sauve
Heureusement, j'ai un avantage.
Mon métier m'a appris la nuance.
En UX design, nous ne pouvons pas survivre sans elle.
Quand nous créons des personae, nous cherchons la diversité.
Quand nous mappons des parcours utilisateurs, nous explorons les variations.
Quand nous menons des interviews, nous élargissons nos horizons.
Nous allons même voir ceux qui ne rentrent pas dans les cases.
Les gens qui n'utilisent pas l'app.
Les utilisateurs qui refusent telle fonctionnalité.
Les edge cases qui révèlent les failles.
Car nous savons une chose fondamentale : se baser sur un seul avis, c'est aller droit dans le mur.
La leçon de Duralex
Je pense à cette histoire que m'a racontée ma compagne.
Dans une boîte de mode où elle travaillait, un marketeur sorti d'une grande école voulait révolutionner la méthodologie.
Pour lui, le travail à la chaîne était inhumain.
Ils ont changé.
Résultat ? Ça marchait moins bien, voire pire.
Pourquoi ?
Parce que les ouvriers voulaient rester dans ce système !
Pour eux, c'était moins de stress, moins de charge mentale.
Ils faisaient leur temps et rentraient chez eux.
Une série d'interviews des "utilisateurs" (ici les ouvriers) aurait suffi.
Même histoire avec Duralex.
Après des années de reprises ratées, de restructurations marketing, au bord de la faillite...
Reprise par les employés en SCOP.
Résultat ? 31 millions d'euros de CA en 2025 (on est fin juin !) ³.
La différence ? Ils ont écouté ceux qui utilisent vraiment le système.
La méthode qui résiste
Vivre chez moi dans les Pyrénées m'a aussi ouvert les yeux.
Ici, les avis sont souvent tranchés.
Pro-chasse ou anti-chasse.
Pro-ours ou anti-ours.
Pour ou contre, point final.
En ville, j'observe plus de nuances.
Plus de brassage, plus de mixité.
Même si les avis divergent, il y a plus d'ouverture aux autres perspectives.
Cette observation m'a fait réaliser quelque chose.
La nuance se cultive. Elle se travaille. Elle se pratique.
Exactement comme en UX design.
Les outils de la résistance
Voici ce que j'ai appris de mon métier, appliqué à la vie quotidienne :
Checker l'information.
Il n'a jamais été aussi facile de vérifier.
IA, Google, fact-checkers.
Quelques secondes suffisent.
Croiser les sources.
Regarder ce que disent les autres.
Même les sources "fiables" ont des biais éditoriaux ⁴.
Le Monde (centre-gauche), L'Humanité (extrême gauche), Valeurs Actuelles (extrême droite).
Contextualiser.
Ne pas partir du postulat qu'une info est vraie ou objective.
Comprendre d'où elle vient, qui la diffuse, pourquoi maintenant.
C'est exactement le processus qu'on utilise en recherche utilisateur.
Multiple interviews pour éviter les biais.
Triangulation des données pour révéler les patterns.
Objectivité par multiplication des perspectives.
Le muscle de l'empathie
Car au final, c'est de cela qu'il s'agit.
La nuance est un muscle.
Un muscle qui nous permet de résister aux algorithmes.
De résister à la manipulation.
De résister à l'extremisation.
Mais surtout, un muscle qui fait grandir notre empathie.
Notre capacité à comprendre l'autre.
Notre lien les uns envers les autres.
Sans nuance, nous perdons notre humanité.
Avec elle, nous la protégeons.
La vie, c'est la nuance.
Noir, il n'y a plus d'espoir.
Blanc, c'est barbant.
À très vite,
Michel
📝 Citation du Jour
« La règle d'or de la conduite est la tolérance mutuelle, car nous ne penserons jamais tous de la même façon, nous ne verrons qu'une partie de la vérité et sous des angles différents. »
— Gandhi
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