La Gestion des Imprévus : Quand on devient son propre pire ennemi
Pourquoi maîtriser les interruptions externes ne suffit plus quand on travaille pour soi
Cette newsletter devait sortir lundi.
On est jeudi.
L'ironie ne vous échappe pas : écrire sur la gestion des imprévus avec quatre jours de retard.
Mais c'est précisément cette ironie qui révèle quelque chose sur notre rapport aux interruptions.
Car ce retard n'est pas dû à une urgence familiale, un client difficile ou une panne technique.
Il est dû à moi.
À ma capacité infinie à m'interrompre moi-même.
À me disperser.
À papillonner entre dix projets sans en finir aucun.
Et c'est là que j'ai réalisé quelque chose de troublant : j'avais maîtrisé les interruptions externes, mais découvert un ennemi bien plus redoutable.
Moi-même.
L'art d'éduquer son environnement
En CDI, j'avais développé un système sophistiqué de gestion des imprévus.
Des règles claires :
Ordre du jour obligatoire pour toute réunion
Invitations en "facultatif" sauf si ma présence était indispensable
Pas de réponse instantanée exigée aux messages
Des moments “Deep focus” bloqué dans le calendrier
Le casque sur les oreilles = signal universel de "ne pas déranger"
Ces exigences peuvent sembler drastiques.
Elles reposent sur un principe simple : si je produis un travail de qualité, je peux me permettre d'avoir des exigences.
Car voici une vérité : les entreprises paient pour des résultats, pas pour de la disponibilité constante.
Mes collègues ont fini par comprendre et respecter ces signaux.
Pourquoi ?
Parce que j'expliquais clairement que ma productivité était liée à mes temps de concentration.
Que briser un flow, c'est perdre 20 minutes de remise en route¹.
C'est ce que j'appelle le design social : traiter son environnement professionnel comme une contrainte et donc un problème à régler.
Définir des modes de fonctionnement clairs.
Créer des signaux visuels explicites.
Éduquer ses "utilisateurs" sur le bon usage de votre temps.
Cette approche fonctionne remarquablement… avec les autres.
Le paradoxe de l'indépendance
Puis j'ai lancé Buro.
Fini les collègues.
Fini les réunions impromptues.
Fini les interruptions externes.
Enfin libre de me concentrer à 100%.
Sauf que.
Sauf que ma plus grosse source d'interruption, c'est devenu moi.
Le matin : "Réveil → Travail".
Où est passé le rituel ?
Le trajet qui créait une frontière psychologique entre vie privée et vie professionnelle ?
Cette transition graduelle qui me mettait en condition de focus ?
Résultat : des journées où je me sens "mou, flou".
Où je papillonne entre mes différents projets.
Où je commence une tâche pour la délaisser au profit d'une autre, plus excitante sur le moment.
L'entrepreneur dans l'âme devient paralysé par sa propre créativité.
Car c'est bien de ça qu'il s'agit.
Pas de procrastination classique.
Mais d'une créativité contre-productive.
J'ai des idées plein la tête, j'en commence dix par jour, j'en finis zéro par semaine.
Et quand tu t'interromps pendant des heures, tu te sens au plus bas.
Physiquement.
Moralement.
La géographie de la productivité
J'ai remarqué quelque chose d'étrange.
Dès que je bouge (bibliothèque, espace de coworking, café) je deviens instantanément ultra-productif.
La même personne.
Les mêmes tâches.
Mais un environnement différent.
La distance physique hack notre mental.
C'est si vrai que j'ai refusé un super appartement parce qu'il était à une rue de mon ancien travail.
Cette proximité m'angoissait.
Je ne voulais pas que mes espaces se télescopent.
Car je suis quelqu'un d'organisé.
J'ai besoin d'un lieu par activité.
À la salle de sport, je suis un grand sportif.
Chez moi avec mon matériel, je larve.
Cette observation révèle quelque chose de fondamental : nous sous-estimons l'impact de l'environnement physique sur notre état mental.
Construire ses propres contraintes
Face à ce constat, une évidence s'impose : il faut recréer artificiellement ce que les structures nous donnaient naturellement.
Il faut se designer des contraintes.
Mon objectif prioritaire ?
Me trouver un bureau externe.
Recréer cette séparation géographique qui déclenche automatiquement le mode focus.
Mais en attendant, j'expérimente des micro-rituels :
Changer de vêtements avant de "partir au travail"
Créer une routine artificielle (ex: ne pas regarder d’écrans avant 9h, faire une séance de yoga au reveil, etc.)
Définir des heures de bureau strictes, même chez moi
L'idée : transformer les contraintes subies en contraintes choisies.
Car voici la vérité sur les imprévus : ils ne sont pas tous égaux.
Il y a une hiérarchisation statistique :
Tactique (90% du temps) : notifications, interruptions quotidiennes
Stratégique (10% du temps) : changements de projets, bugs majeurs
Existentiel (0,1% du temps) : urgences familiales, crises personnelles
Si 90% des imprévus sont prévisibles dans leur imprévisibilité, alors on peut les intégrer dans notre planning.
Mais le plus difficile reste cette 4ème catégorie que j'ai découverte :
Personnel (variable selon les individus) : s'interrompre soi-même
L'imprévu ultime, c'est soi
Cette expérience entreprenariale m'a appris quelque chose : on peut maîtriser son environnement sans se maîtriser soi-même.
Le design social fonctionne avec les autres.
Ils comprennent nos signaux, respectent nos modes de fonctionnement, s'adaptent à nos exigences.
Mais nous ?
Nous sommes nos pires clients.
Nous ignorons nos propres signaux.
Nous ne respectons pas nos propres modes de fonctionnement.
C'est le paradoxe de l'entrepreneur : avoir toute la liberté du monde... et ne pas savoir qu'en faire.
La règle PAPE
Pour finir, rappellez-vous Habemus papam “Nous avons un pape”, ou devrais-je dire un guide. C’est une méthode auquel j’ai pensé, une hiérarchisation qui m'aide dans les moments de flottement :
Personnel : santé, famille, équilibre de vie
Administratif : logement, impôts, obligations légales
Professionnel : le travail qui fait tourner la boutique
Exploration : formation, expérimentation, nouveaux projets
Le PAPE.
C'est ma boussole quand je me sens dispersé.
Car si on n'a pas la santé ou la famille, on ne peut pas travailler efficacement.
Si on n'a pas de logement ou qu'on ne paie pas ses impôts, on ne peut pas se concentrer.
Et l'exploration ?
Elle nourrit tout le reste.
C'est elle qui nous fait grandir, qui nous rend meilleurs dans ce qu'on fait.
Mais elle vient en dernier.
Après avoir posé les fondations.
C’est un peu une Pyramide de Maslow de la vie moderne.
Car le vrai imprévu, celui qu'on ne voit jamais venir, c'est de s'oublier soi-même dans la course.
Cette newsletter arrive avec du retard.
Mais peut-être que ce retard était nécessaire pour que j'accepte que maîtriser les autres, c'est du design.
Se maîtriser soi-même, c'est un art.
Un art que j'apprends encore.
À très vite,
Michel
📝 Citation du Jour
« Etre libre, ce n'est pas pouvoir faire ce que l'on veut, mais c'est vouloir ce que l'on peut. »
— Jean-Paul Sartre
🚀 Et maintenant, à toi de jouer !
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J'aimerais vraiment connaître ton expérience :
Quel est ton signal le plus efficace pour créer du focus ?
Comment gères-tu la transition entre "mode vie" et "mode travail" ?
Es-tu, comme moi, ton propre pire ennemi en matière d'interruptions ?