La Course contre le temps : Quand l'accélération tue l'innovation
Pourquoi nous confondons vitesse et progrès dans un monde obsédé par le "nouveau”
Mon iPhone XS fonctionne parfaitement.
Batterie qui tient la journée.
Appareil photo qui capture ce dont j'ai besoin.
Applications qui s'ouvrent instantanément.
Écran sans rayure après six ans d'usage.
Pourtant, Apple le déclare officiellement "obsolète".
Plus de mises à jour iOS.
Plus de compatibilité avec les nouvelles apps.
Plus de support technique.
Un téléphone parfaitement fonctionnel devient artificiellement inutile.
Pendant ce temps, sur mon bureau, mon Leica M4-P de 1984 attend patiemment.
41 ans. Toujours aussi précis.
Toujours aussi fiable.
Aucun signe d'obsolescence à l'horizon.
Pourquoi certains objets traversent-ils les décennies quand d'autres périment en quelques années ?
Pourquoi valorisons-nous la vitesse d'innovation au détriment de la durabilité ?
Et surtout : sommes-nous complices de cette course contre le temps ?
L'accélération comme nouveau standard
Mardi dernier, Apple a ouvert sa keynote par cette citation de Steve Jobs :
"Design is not just what it looks like and feels like. Design is how it works."
Ironie du sort : cette présentation portait entièrement sur l'apparence. Nouveaux coloris. Nouveaux matériaux. Nouveau châssis.
Fonctionnellement ?
L'iPhone 17 fait exactement la même chose que l’iPhone 16 ou l’iPhone 15.
Une année de transition depuis 3 ans disent certains ¹.
Mais il le fait dans un boîtier en aluminium au lieu de titane.
Pour 100€ de plus.
Apple vend cette régression comme une "innovation thermique" ².
Une solution à un problème de surchauffe qui n'existait pas vraiment.
C'est exactement l'opposé de ce que prônait Jobs.
Mais Apple n'est pas seul dans cette dérive.
L'accélération touche tous les secteurs :
La mode est passée de 2 collections annuelles à 6.
Les constructeurs photo sortent un nouveau boîtier chaque année.
L'automobile réduit ses cycles : la Peugeot 205 a duré 15 ans (1983-1998)³, la 208 seulement 5 ans (2020-2025) ⁴.
Dans l'IA, chaque semaine enterre le modèle précédent.
Nous vivons l'époque de l'innovation perpétuelle.
Le piège de l'amélioration continue
Cette accélération repose sur un mensonge.
L'idée que chaque nouveau modèle apporte nécessairement du progrès.
Que l'innovation doit être constante pour être valide.
Que la stagnation visuelle équivaut à la stagnation technique.
Pourtant, regardons ce qui faisait vraiment acheter un objet "avant".
Le Leica M6 remplaçait le M4-P en ajoutant un posemètre intégré.
Problème réel résolu.
La Peugeot 206 succédait à la 205 avec plus de sécurité et de confort.
Valeur ajoutée tangible.
Le passage du pelliculaire au numérique révolutionnait la photographie.
Rupture technologique authentique.
Aujourd'hui, nous vendons du "nouveau" sans nécessairement du "mieux".
L'iPhone en aluminium n'est pas supérieur à sa version titane.
Les 6 collections de mode n'habillent pas mieux que les 2 traditionnelles.
Les 15 nouvelles références d'appareils photo par an n'améliorent pas fondamentalement nos images.
Nous confondons mouvement et progression.
L'art de résister à l'accélération
Pourtant, certaines marques prouvent qu'une autre voie existe.
Leica sort toujours son M11, lancé il y a 4 ans.
Pas d'obsolescence programmée.
Pas de cycles frénétiques.
Juste l'amélioration graduelle d'un concept maîtrisé.
Leur M11-P récent ne révolutionne rien.
Il affine. Il certifie contre les deepfakes. Il se prémunit contre l'avenir ⁵.
Évolution vs révolution artificielle.
Uniqlo a construit son succès mondial sur cette philosophie en seulement 10 ans.
Pas de tendances éphémères.
Pas de collections saisonnières frénétiques.
Des basiques intemporels, améliorés progressivement.
Decathlon l'a toujours pratiqué.
Ses produits durent. Évoluent lentement. Restent abordables.
Leur innovation se concentre sur l'usage, pas sur l'apparence.
Même dans la tech, des signaux existent. Rabbit, après l'échec de son R1, a choisi d'améliorer le logiciel plutôt que de sortir un nouvel appareil ⁶.
Ces entreprises prouvent qu'on peut échapper à la tyrannie du nouveau.
Mon propre réveil
Cette réflexion change ma vision de designer.
Étudiant, j'étais obsédé par les tendances.
Suivre Dribbble religieusement.
Copier les derniers effets visuels.
Changer de style à chaque projet.
Aujourd'hui, je repense tout différemment.
Mon site personnel, mr-michel.com, est éco-conçu ⁸.
Pas de fioritures.
Pas d'animations superflues.
Juste l'essentiel, optimisé pour durer.
Je refais actuellement le site de Buro dans cette philosophie.
Moins de ressources. Plus d'efficacité.
Une approche qui privilégie la fonction sur la forme.
Car si nous ne changeons pas nos méthodes, qui le fera ?
La responsabilité du créateur
Nous, designers, développeurs, créateurs... sommes-nous complices de cette accélération toxique ?
Quand nous suivons aveuglément les tendances visuelles.
Quand nous redesignons pour redesigner.
Quand nous privilégions l'effet "wow" sur l'utilité réelle.
Ne participons-nous pas à cette course contre le temps ?
Je repense aux mots de Jobs : "Design is how it works."
Combien de fois ai-je oublié cette vérité fondamentale ?
Combien de projets ai-je "améliorés" visuellement sans améliorer l'expérience ?
Cette introspection n'est pas confortable. Mais elle est nécessaire.
Éviter le piège du "c'était mieux avant"
Attention toutefois au biais nostalgique.
Le passé n'était pas parfait.
FOCA faisait d'excellents appareils photo... et a coulé ⁹.
Delahaye produisait des voitures sublimes... et a disparu ¹⁰.
Combien de marques "durables" ont été oubliées par l'histoire ?
Même en musique : nous retenons Elton John, ACDC, George Michael et Phil Collins de 1990.
Nous oublions que le n°1 était "Bo le lavabo" de Lagaf'.
Chaque époque a eu ses compromis entre qualité et commercial.
Ce qui change aujourd'hui, c'est l'accélération.
Là où la Peugeot 205 avait 15 ans pour prouver sa valeur, la 208 n'en a que 5.
Là où Leica prend des années entre les modèles M, Sony sort un nouvel Alpha tous les 18 mois.
Cette compression temporelle ne laisse plus le temps à l'excellence de s'exprimer.
La vraie question
Alors, que faire face à cette accélération ?
Résister individuellement en faisant durer nos objets ?
Choisir des marques qui privilégient la durabilité ?
Repenser notre rapport à la nouveauté ?
Ces actions sont nécessaires mais insuffisantes.
La vraie question est plutôt :
Pourquoi acceptons-nous collectivement cette course ?
Sommes-nous vraiment contraints par les "exigences du marché" ?
Ou avons-nous créé un système qui nous dépasse ?
Les entreprises tech pourraient-elles dire demain : "Nous sortons un iPhone tous les 3 ans, mais il dure 10 ans" ?
Et survivraient-elles économiquement ?
Je n'ai pas de réponse définitive.
Mais je sais que cette question mérite d'être posée.
Car entre mon iPhone XS condamné et mon Leica éternel, il y a plus qu'une différence d'âge.
Il y a une différence de philosophie.
L'une privilégie la rotation des stocks.
L'autre, la transmission générationnelle.
L'une optimise pour le trimestre suivant.
L'autre, pour le siècle à venir.
À nous de choisir laquelle nous voulons encourager.
À très vite,
Michel
🚀 Et maintenant, à toi de jouer !
🎲 Partage cette réflexion
Cette newsletter t'a fait réfléchir sur ton rapport aux objets qui t'entourent ? Elle a résonné avec tes propres questionnements sur la consommation ?
Alors partage-la ! Chaque partage est une invitation à questionner notre complicité dans cette accélération permanente.
📬 Rejoins l'aventure !
Une newsletter qui explore le design, la créativité et l'innovation avec un regard critique et constructif. Un laboratoire d'idées pour repenser notre rapport à la création dans un monde qui s'accélère.
💡 Discutons ensemble !
J'aimerais vraiment connaître ton expérience :
Quel est l'objet le plus ancien que tu utilises encore quotidiennement ?
As-tu déjà remplacé quelque chose qui fonctionnait parfaitement, juste par envie de "nouveau" ?
Comment pourrions-nous, en tant que créateurs, résister à cette pression de l'accélération ?